jeudi 21 mars 2013

Glissement de sens

Les glissements de sens sont un élément fondamental de notre langue. Penchons-nous sur ce point fascinant.
Voilà comment l'Académie Française le définit : Le glissement de sens est une "évolution du sens d'un mot vers un autre sens qui lui est proche. C'est par une succession de glissements de sens que le mot "bureau" (à l'origine "étoffe de bure") a pris sa signification actuelle".
Un glissement de sens peut se produire de différentes façons, pour différentes raisons:


- par extension : Prenons l'exemple du mot "Achalandé" Le définition d'origine est : "qui a de nombreux clients, en parlant d'un magasin, d'un commerce, ou de la personne qui le tient. La boutique, située dans une rue passante, est très achalandée". Par extension, un magasin qui attire de nombreux clients est un magasin bien approvisionné. Par glissement de sens, le mot "achalandé" est donc devenu "qui est bien approvisionné, fourni de marchandises abondantes et variées". Cet usage est toutefois considéré comme abusif, mais il s'agit d'un glissement de sens.


- par réduction (ou spécialisation du sens) : Prenons l'exemple du mot "Américain", qui désignait à l'origine un habitant du continent Américain... et qui maintenant, en raison de la puissance des Etats-Unis, désigne les habitants de ce pays. Alors qu'un Européen désigne un habitant de l'Europe et non d'un pays en particulier, puisqu'aucun pays d'Europe ne domine vraiment le continent.

- par métonymie (c'est-à-dire par relation logique entre deux notions): On a parlé précédemment dans ce blog du mot "gourmand", utilisé pour désigné un plat appétissant. Par métonymie, un plat gourmand est un plat "apprécié par les gourmands".


- par métaphore: on peut prendre l'exemple d'un "aile" d'avion, la "fleur" de l'âge, la "racine" du mal...


- par proximité phonique: on a déjà analysé le mot "roboratif" sur ce blog. Penchons-nous sur le mot "errement", qui signifie "mauvaise habitude", et qui a tendance à prendre le sens du mot "erreur" dans l'esprit des gens, à cause de la proximité de prononciation des deux mots.


- par contexte social : Le mot "racisme" a glissé de sens suite à l'arrivée des extrèmismes au XXème siècle, en passant d'un sens neutre à un sens péjoratif. A l'origine, le mot s'appliquait à des caractères biologiques d'un peuple (d'une race). Le sens du mot a glissé d'un constat biologie vers un rejet d'une catégorie de population, incluant sa façon de vivre, sa culture, son physique, sa religion et d'autres critères non biologique. Ce mot peut servir à désigner n'importe quel comportement de rejet, si bien qu'il ne nécessite plus d'argumentation : dire "vous êtes raciste" n'amène aucune réponse et permet à son auteur de ne pas avoir à s'expliquer. L'exemple du mot "bourgeois" est également édifiant : on est passé de l'habitant du bourg, à un individu préocuppé par ses intérêts personnels.


- par affadissement : le mot "charme" désignait autrefois un attrait puissant, à la limite de la magie. Il est devenu au fil du temps quelque chose d'agréable, de poétique. Le mot a perdu sa force.

Pour clôturer, nous pouvons analyser l'étymologie du mot "Bureau", qui est une suite de glissements de sens par extension (source : dictionnaire de l'Académie Française) :
(1150) burel (ou "bure") = « étoffe grossière »
(1316) bureau = « tapis sur lequel on fait des comptes »
(1361) bureau = « la table où l'on fait les comptes »
(1495) bureau = « lieu où l'on fait les comptes »
(xv e siècle) bureau = « pièce, lieu de travail, cabinet »
(xvi e siècle) bureau = « établissement ouvert au public où s'exécute un service d'intérêt collectif (débit, recette, etc.) »
Aujourd'hui, le bureau est aussi une table de travail. Ou comment passer d'une étoffe à un lieu, en quelques centaines d'années de glissement de sens!